UNE EXPOSITION EN SIX ACTES DANS LA COUR DES FRANCISCAINES
DE MONTMARTRE A LA NORMANDIE
Van Dongen retrouve dans les paysages de Normandie la lumière, la mer, les cieux, ses impressions de jeunesse de sa Hollande natale. Outre Deauville, l’artiste a peint Trouville, Honfleur, Villerville, l’estuaire de la Seine ; ses oeuvres sont acquises par les négociants du Havre, collectionneurs
et fondateurs du Cercle de l’art moderne.
Ci-dessus : Kees Van Dongen Deauville, le bateau du Havre à Trouville, 1913, huile sur toile.
LES BAINS DE MER
Les thèmes de la plage et des bains de mer sont très présents dans la production picturale de l’artiste liée directement à Deauville. La grande composition La Baigneuse à Deauville (coll privée) - image utilisée pour promotion de la première édition du Festival du cinéma américain en 1975 - est présentée au Salon d’automne en 1920. De manière parfaitement ostentatoire, Van Dongen proclame à rebours du genre académique du « nu », une présence dans l’espace public du corps libéré de la femme.
À ce corpus d’oeuvres s’ajoutent des gouaches comme Joueurs de ballons sur la plage (donation Hambourg, Ville de Deauville, Les Franciscaines) ou La Plage (1929, coll NMNM), mais aussi des lithographies, des photographies et des affiches destinées à la promotion touristique de la ville. Liés à ce thème de la plage, les nouvelles conceptions hygiénistes mais aussi le narcissisme du peintre sont présents en filigrane.
Ci-dessus : Kees Van Dongen, la baigneuse de Deauville (détail), 1920, huile sur toile
LES COURSES ET LE MONDE DU CHEVAL
Cette section fait bien évidemment écho aux élevages de chevaux et au champ de courses de Deauville évoqués avec Le Paddock à Deauville (1920), dans lequel Van Dongen retrouve l’ambiance feutrée du Bois de Boulogne où dansune véritable symbiose, l’élégance naturelle de l’animal racé rime avec le chic féminin.
Le cheval est également souvent sujet à identifications : dans les illustrations des 1001 nuits (1918) du Dr Maldrus, l’animal a des grands yeux en amandes maquillés de Khol empruntés aux modèles du peintre ; en outre cette identification vaut également pour l’artiste lui-même et l’animal dans La Chimère-pie (1895-1907, coll NMNM), la plus ancienne oeuvre monumentale de l’artiste qui trônait toujours en bonne place dans son atelier comme un « porte-bonheur ».
Ci-dessus : Kees Van Dongen, Le paddock du champ de courses de Deauville (détail), 1920, huile sur toile.
MATTCHICHES, JAZZ BAND ET TANGOS
De la Mattchiche du Bal Tabarin sur la Butte Montmartre au tango, qui de Buenos Aires à Paris déferle sur Deauville, ce sont de nouvelles sonorités et de nouveaux rythmes qui viennent bousculer les codes de la danse sur le Vieux Continent. La Haute société des Années folles s’encanaille le « temps d’une danse », faisant fi des préjugés de classes sociales, de races, avant, une fois terminée de retrouver ses réflexes habituels. Une sensualité sauvage, extravertie se répand comme une trainée de poudre dans les lieux nocturnes, à laquelle Van Dongen est très sensible et qui va produire quelques-uns de ses plus grands chefs-d’oeuvre. Interdit pendant la première guerre mondiale à Deauville, les lieux clandestins vont se multiplier, le tango sera longtemps perçu comme un véritable spectre, comme la danse de la décadence.
Le thème inspirera à plusieurs reprises Van Dongen qui en donnera une interprétation d’un érotisme quasi blasphématoire avec Le Tango de l’archange.
Ci-dessus : Kees Van Dongen, Tango ou le Tango de l'Archange (détail), 1913-1955, huile sur toile.
LE MONDE DU SPECTACLE
En 1916, Van Dongen fait la rencontre de Léa Jacob dite Jasmy, qui devient sa maitresse. Ambassadrice de la « Maison Jenny & Co » créée par Jenny Bernard Sacerdote en 1909, Jasmy est également modiste, artiste à ses heures ; elle concevra, entre autres, le maillot de bain en écailles porté par Suzy Solidor sur la plage de Deauville. Quant à Jenny Sacerdote, figure oubliée aujourd’hui de la mode des Années Folles, formée chez Paquin, elle habillait les mondaines comme les artistes.
Le cercle des intimes et des relations mondaines développées par le couple Kiki / Jasmy (Kiki pour Van Dongen), se recoupe largement avec le gotha du monde des arts, du spectacle et de la mode des « Années folles » : Mistinguett, Colette, Max Jacob, Lucie Delarue-Mardrus, Yvette Guilbert,
Nicole Groult, Paulette Pax, Lucien et Sacha Guitry, Suzy Solidor, Jack Johnson...
Ci-dessus : Kees Van Dongen, Madame Jenny (détail), 1920, huile sur toile.
VAN DONGEN, LA "GARCONNE" ET "LA FEMME AU GAZ" DE DEAUVILLE
Le corps de la femme a toujours été au coeur de la production picturale de Van Dongen mais la femme Van Dongen a subi plusieurs « mutations », au gré des époques.
Les gitanes, prostituées et danseuses ou lutteuses de Montmartre ont laissé place aux Orientales à partir de ses premiers voyages en Orient. Puis, Van Dongen a peint le monde du raffinement avec ses premières élégantes silhouettées, longilignes et effilées, évoluant sur les champs de courses comme au casino ou sur les Planches.
Mais dès 1913, année de son arrivée à Deauville, un nouveau modèle féminin apparaît dans la peinture de Van Dongen, anticipant de près d’une décennie, ce qui sera la mode de « la garçonne ». Androgyne aux cheveux courts, la nuque dégagée sur un corps sportif le jour et qui la nuit retrouve son éternel féminin, cette femme moderne, revendique sa liberté de moeurs et son autonomie au même titre que les hommes.
L’écrivain Michel Georges-Michel, observateur affûté des moeurs deauvillaises avant, pendant et après la Première Guerre mondiale, a parlé de la « femme au gaz », une femme qui affine son « paraître » en alliant à son allure physique et vestimentaire,
les excentricités dans son comportement. À Deauville, les femmes au gaz se nommaient Mistinguett, Suzy Solidor, Andrée Spinelli, Yola Letellier…L’illustration en 1926 du roman à scandale de Victor Marguerite "La Garçonne" associe définitivement le modèle de la garçonne des Années folles à la « Femme Van Dongen ».
Ci-dessus : Kees Van Dongen, portrait de Suzy Solidor (détail), 1927, huile sur toile.
LES COMMANDE DE DEAUVILLE
Jean-Paul Crespelle dans son livre La Belle époque (Hachette, 1968) évoque chez Van Dongen les « commandes de Deauville » : Au baccara à Cannes, au bar du soleil à Deauville, il prenait les commandes comme un voyageur du commerce, notant des rendez-vous plusieurs mois à l’avance. Portraitiste recherché, un nombre considérable de personnalités dont l’artiste va exécuter le portrait à partir des années 20, fréquentait Deauville comme Biarritz ou Cannes, pendant la saison d’été. Les mêmes personnalités se rendaient aux fêtes et vernissages nocturnes données par l’artiste dans ses différents ateliers parisiens : Max Dearly, l’Aga Khan, Berry Wall, Lily Damita, Suzy Solidor, ou encore les Dolly Sisters admirées par le roi d’Espagne Alphonse XIII et généreusement financées par leur riche admirateur.
Ci-dessus : Kees Van Dongen, les deux cousines, 1914-1916, huile sur toile.